Soutien aux populations clés dans la région MENA en période de crise : un temps d’action et de réflexion

Le 30 avril 2020 s’est tenu un webinaire sur la situation des populations clés dans le contexte du COVID-19 organisé par la Plateforme du Fonds mondial et la société civile. Elie Ballan, directeur de M-Coalition (Liban), Nadia Badran, directrice exécutive de Soins Infirmiers et Développement Communautaire (SIDC, Liban), Evet Adel, responsable des programmes VIH-CARITAS (Égypte), Ghizlane Mghaimimi, directrice des projets de
l’association Sud contre le sida (ASCS, Maroc) et Faouzia Bouzzitoun, directrice de l’Association Hasnouna de Soutien aux Usagers de Drogues (AHSUD, Maroc) ont présenté la réponse de leurs organisations aux enjeux et aux inégalités affectant le quotidien des populations clés, la façon dont elles ont maintenu les services dédiés à ces populations et continué de diffuser une information juste et crédible avec un regard critique sur la réalité.


Les trente-deux participant-e-s représentant la société civile, des communautés, l’ONUSIDA, l’Unité de gestion du Fonds mondial, des instances de coordination nationales (CCM) étaient invité-e-s à poser des questions dans la fenêtre de discussion ou de vive voix après les présentations. Les intervenants ont convenu de l’importance de
l’enjeu et de la nécessité d’entraide notamment par la diffusion de bonnes pratiques.

Adaptation et continuité : les deux maîtres mots des interventions

Dans la région MENA, la réaction face au risque représenté par le COVID-19 pour les populations clés a été rapide et à l’avant-garde. Malgré des
situations socioéconomiques, institutionnelles et politiques différentes, les interventions décrites lors du webinaire concourent toutes au renforcement de la communication et du plaidoyer, à la diffusion d’informations sur le COVID-19 fiables et adaptées aux populations clés, et au maintien des services auprès de ces populations.

En ces temps de confinement, la communication est cruciale pour préserver les liens et le sentiment d’appartenance à la communauté, mais aussi pour
connaître la situation matérielle et psychologique des populations clés. Un sondage réalisé au Liban sur 100 personnes a ainsi constaté que 50 % des
personnes interrogées avaient besoin d’une aide psychologique accrue en cette période. Ces populations souvent marginalisées sont les plus exposées en temps de crise. Plusieurs méthodes de communication ont été adoptées : numéros d’appel gratuits offrant de l’information et des services de soutien
psychologique, diffusion de vidéos de sensibilisation et de soutien psychologique, affiches, réseaux sociaux et appels WhatsApp individuels pour des raisons de confidentialité, mais aussi par des groupes WhatsApp déjà constitués, toujours avec le consentement des bénéficiaires et en tenant compte des questions de sécurité. Des rendez-vous en personne sont donnés pour les urgences et au cas par cas. Au besoin, les organisations ont fourni des téléphones portables ou de quoi payer les recharges de cartes SIM ou d’Internet pour maintenir le contact avec les travailleurs sociaux.

Très vite, la peur et l’angoisse provoquées par l’épidémie se sont manifestées chez les populations clés, notamment sur la transmission du virus, ses effets et leur durée sur les personnes vivant avec le VIH (PVVIH), les LGBT, les usagers de drogues. Dépasser la peur et les fausses conceptions sur le COVID-19 était essentiel pour que les bénéficiaires se concentrent sur leur protection : au moyen de prospectus spécialisés par catégorie, de communications virtuelles et téléphoniques, de publications en ligne, d’affiches ou plus rarement sur le terrain (Maroc), les organisations ont efficacement transmis aux populations clés des informations fiables et ciblées sur leur santé sexuelle, psychologique et générale.

Pour assurer la continuité des services et prendre en compte les nouveaux besoins nés du COVID-19 et des contraintes économiques du confinement, les intervenant-e-s ont reprogrammé et adapté leurs activités. Cela était d’autant plus crucial que le confinement et le stress financier qu’il engendre rendent les populations clés plus vulnérables à l’exploitation et la violence, du fait des personnes les hébergeant notamment, et à la prise de risques par exemple par les travailleurs et travailleuses du sexe qui acceptent des relations non protégées. Au Liban, la situation est d’autant plus difficile que la crise du COVID-19 s’ajoute à une crise politique et économique profonde.

Avec détermination, souvent virtuellement, mais aussi dans leurs locaux sur rendez-vous et sur le terrain au besoin, les organisations parviennent à assurer une très grande partie de leurs services médicaux, psychologiques, d’éducation, de sensibilisation et d’évaluation des besoins. Elles ont veillé à la disponibilité de médicaments en quantité suffisante pour la période de confinement (en Égypte par exemple), acheminé des traitements ou du matériel de réduction des risques à certaines personnes dans l’incapacité de se déplacer (confinement, raisons de santé, personnes détenues ou éloignées des centres urbains), distribué des préservatifs sur le terrain (Maroc), et mis à jour leurs données pour accéder au plus grand nombre de bénéficiaires potentiels.

Dans le contexte du COVID-19, un nouveau besoin est apparu de façon criante : la fragilité économique des populations clés. Toutes les organisations ont mobilisé des ressources pour les soutenir économiquement dans la mesure du possible. En effet, au Liban, les citoyens n’ont plus accès à leur épargne et beaucoup se sont retrouvés sans emploi. Au Maroc l’État distribue des aides en période de confinement, mais les plus marginalisés en sont souvent exclus, en Égypte, plus de 90 % des bénéficiaires de CARITAS occupent des emplois informels, journaliers ou temporaires pour lesquels ils ne reçoivent pas d’indemnité. La réponse des organisations a été multiforme : distribution de matériel d’hygiène et d’aide alimentaire, assistance dans les formalités administratives pour l’obtention d’aides gouvernementales (Maroc), prise en charge complète de procédures de traitement (Liban), plaidoyer et coordination avec d’autres acteurs de la société civile pour fournir cette aide économique.

Un chemin semé d’embûches

Malgré une admirable capacité d’adaptation, certaines difficultés de taille, variables selon les pays, demeurent : dépistage et suivi des nouveaux cas de
VIH, citoyens libanais se trouvant dans un autre pays et ne pouvant pas s’y procurer de trithérapie, impossibilité de communiquer avec les bénéficiaires victimes de violence de genre chez elles, accès aux usagers de drogue invisibles ne suivant pas de traitement de substitution, accès aux populations en zone rurale ou éloignées des centres de santé, pénurie de médicaments au Liban, poursuite du travail sexuel avec de fortes pressions économiques… Les échanges virtuels posent la question épineuse de la sécurité et la confidentialité des communications électroniques. De plus, en raison du COVID-19, de nombreuses structures sanitaires ne considèrent pas le VIH comme une priorité : trouver un médecin pour les bénéficiaires peut relever du parcours du combattant, sans compter les frais médicaux inopinés pour les organisations.


Si cette crise relève la vulnérabilité des populations clés, elle montre aussi la fragilité des organisations et leur dépendance aux bailleurs de fonds. Certains pourtant très engagés dans la riposte au VIH ont redirigé une partie de leurs financements vers le COVID-19. D’autres ont supprimé des salaires ou imposent des conditions inacceptables pour la protection de la vie privée des bénéficiaires. Il faudra en tenir compte dans les années qui viennent.

Plaidoyer et solidarité pour changer de système

Les intervenant-e-s sont unanimes : seule la réduction de la fragilité et de la marginalisation socioéconomiques des populations clés par des programmes renforcés à la durabilité assurée permettrait d’affronter plus sereinement la prochaine crise. Plus que jamais, il faut mobiliser les forces de la société civile et des associations des droits de l’homme, car ces populations ne sont pas la priorité des politiques publiques arabes et ne le deviendront pas. D’un point de vue international, le VIH n’est pas non plus une question prioritaire de la région MENA. Comment accroître la solidarité régionale, intensifier le plaidoyer auprès des instances officielles, médicales et non gouvernementales, et intégrer les populations oubliées en favorisant leur indépendance économique et sociale ? Main dans la main, les acteurs de tous les pays devront répondre à ces questions après le déconfinement.