LA COVID 19 ET SES CONSÉQUENCES NÉFASTES SUR LES POPULATIONS CLÉS DANS LA RÉGION MENA
Entretien avec Roy Wakim, spécialiste en santé publique, qui a effectué l’étude sur les populations clés et la COVID-19 dans la région MENA pour le compte de la plateforme populations clés MENA hébergée par ITPC-MENA soutenue par le Fonds mondial au travers de l’Initiative stratégique Communauté, Droits et Genre.
- Dans quel contexte a émergé l’idée de conduire cette étude sur les populations clés et la Covid-19 ?
La région MENA a été particulièrement affectée par la COVID-19, en particulier l’Egypte mais également les pays du Maghreb et le Yémen. Un premier webinaire sur les populations clés et la COVID-19 a été organisé par la plateforme populations clés, et de là est née la volonté de conduire une étude plus approfondie. Nous avons par conséquent développé un questionnaire, qui poursuivait 2 objectifs :
- Mesurer l’impact de la COVID-19 sur les aspects socioéconomiques et l’accès aux soins et aux services des populations clés.
- Mesurer l’impact psychologique du confinement car ce dernier a été largement mis en œuvre pour endiguer la propagation du virus.
Nous avons ensuite complété cette démarche de questionnaire en ligne par des entretiens semi-directifs avec 5 personnes qui représentent les tendances géographiques et culturelles au sein de la plateforme : Djibouti, Afghanistan Tunisie, Maroc, Egypte.
La plupart des participant-e-s au sondage sont des personnes qui travaillent avec et au service des populations clés : 77 % œuvrent avec la communauté LGBTQI, 72 % avec les personnes vivant avec le VIH (PVVIH), 53 % avec les jeunes, les femmes et les filles, 43 % avec les consommateurs de drogues et des migrant-e-s et 26 % avec des détenu-e-s. 34% sont des personnes vivant avec le VIH.
2. Quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?
Les réponses nous fournissent des tendances et des pistes mais rien d’exhaustif, et il faut tenir compte du contexte : le questionnaire a été distribué au milieu de l’été, à la fin du confinement, dans une atmosphère moins tendue que les mois précédents. Si l’enquête avait été menée pendant la 1ère vague, ou maintenant qu’apparaît la 2ème vague, les résultats auraient certainement été différents, en particulier ceux qui concernent les effets du confinement sur la santé mentale.
Principaux résultats de l’enquête : (Source : rapport d’enquête sur l’impact de la COVID sur les populations clés dans la région MENA)
Ressources et moyens de subsistance
- 36% rapportent une perte de ressources
- 38.3% craignaient de perdre leur emploi
- 6% des PvVIH versus 13% des autres ont déclaré une perte de revenus
- 50% craignaient de manquer de nourriture et des biens essentiels
Accès aux services de santé et au traitement
- 38% des PVVIH craignaient l’exposition à la COVID-19
- Seuls 13 % des PVVIH ont pu obtenir leurs médicaments à temps
- Seuls 3 % des PVVIH ont déclaré n’avoir eu aucune difficulté à accéder aux services relatifs au VIH
- 32% ont eu des difficultés pour accéder aux services du fait des restrictions de mouvement
- 26% des personnes interrogées n’ont pas pu communiquer régulièrement avec leur médecin
- 38% ont déclaré que les services de SSR et IST étaient peu accessibles durant le confinement
Stigmatisation et violence
- 26% ont noté une hausse de la stigmatisation et de la discrimination durant le confinement
- 44% des PvVIH vs. 22% des personnes séronégatives ont été sujettes à la stigmatisation et à la discrimination
- 11% des personnes interrogées ont souffert de violence et d’abus pendant cette période
- Mais 37%des PvVIH ont été exposées à la violence physique contre 45% pour les personnes séronégatives
Etat émotionnel et santé mentale
- 72% des personnes interrogées étaient angoissées et stressées
- 62% se sentaient déprimées
- 72% déclaraient avoir souffert de solitude pendant le confinement
- 58% avaient l’angoisse d’une rupture de leur traitement
- Seules 23% ont déclaré ne pas être inquiète pour leur avenir
- 61.7 % des personnes interrogées ont été soutenues par leur famille quand elles en avaient besoin
- 57.5% ont reçu l’appui de la communauté
- Seules 17.1% ont eu accès à des services d’appui psychologique professionnel
- 21.3% ont eu accès à des services de soutien mis en place face à la COVID-19
A la lecture de ces résultats, on retient les conclusions suivantes :
- Parmi les principaux facteurs de stress des PvVIH, la perte de l’emploi et des moyens de subsistance a joué un rôle pour plus d’1/3 d’entre elles. L’impossibilité d’accéder aux services de santé et la peur d’une rupture du traitement ont également constitué un facteur de stress majeur pour les patients et leurs familles. La moitié des personnes interrogées souligne leur peur de manquer des biens essentiels. Il y a eu, de manière ponctuelle, des distributions de colis, mais il s’est agi d’initiatives rares et qui n’ont concerné qu’un nombre limité de familles (par exemple un appui nutritionnel auprès de 250 personnes en Tunisie). L’argent des bailleurs était avant tout destiné à l’achat des équipements de protection.
- Les personnes interrogées ont noté une discrimination et une stigmatisation supplémentaires, principalement les usagers de drogues et les travailleuses du sexe, victimes de harcèlement policier. La plupart des travailleurs et travailleuses du sexe n’ont pas été en mesure d’exercer leur activité durant le confinement, mais ceux et celles qui ont pu exercer leur activité à leur domicile ont affirmé avoir été victimes de violence domestique, car ils/elles vivaient avec leur famille. Les organisations travaillant avec les travailleurs ou travailleuses du sexe ont eu des inquiétudes similaires quant aux difficultés rencontrées pour apporter un soutien aux jeunes durant la pandémie.
- Enfin, la communication et la dissémination effective d’informations exactes se sont avérées cruciales durant la crise. Malheureusement, la communication entre les organisations et leurs bénéficiaires est devenue très difficile durant le confinement. Bien que certaines organisations aient affirmé avoir eu recours aux médias sociaux comme WhatsApp et Zoom pour communiquer avec leurs bénéficiaires, les contacts ont été insuffisants et sporadiques. Certain-e-s participant-e-s ont été, par conséquent, incapables d’apporter un soutien adéquat à l’ensemble des populations clés, ce qui a renforcé leur isolement.
3-Les résultats montrent qu’une minorité de personnes a eu accès aux services de santé : c’est préoccupant et cela nous interroge sur les capacités d’adaptation du système à une situation de crise n’est-ce pas ?
Effectivement, les services dans le domaine du VIH sont fournis par les structures étatiques et le volet communautaire contribuant à la fourniture de services et de traitements est trop peu développé dans cette région. En Egypte ou en Tunisie, la prise en charge se fait dans les hôpitaux et les centres de santé, et ces derniers ont été reconvertis en centre de prise en charge COVID durant la première vague du printemps. Les patients ont perdu le contact avec ces structures du fait du confinement et de l’interruption des services. Quelques initiatives à base communautaire ont émergé mais cela a pris du temps car les acteurs communautaires ne fournissent habituellement pas ces services, on est habitué à ce que les services cliniques soient assurés par des médecins.
Dans la région, la délégation des tâches est très minoritaire, les acteurs communautaires ne sont pas outillés pour prendre le relai. Cette crise a montré qu’une implication communautaire et une coordination avec les structures étatiques sont nécessaires dans la dispensation des soins et des services.
4. Quelles sont les principales mesures auxquelles vous vous attelez maintenant pour prévenir les effets d’une 2ème vague ou bien une nouvelle épidémie mondiale ?
Diapositive : priorités pour préparer une 2ème vague de COVID-19 ou une autre épidémie
Source : rapport d’enquête sur l’impact de la COVID sur les populations clés dans la région MENA
Effectivement, nous avons interrogé les participant-e-s ce qui leur semble prioritaire pour faire face à une 2ème vague ou à toute nouvelle épidémie. Ils ont fait de l’accès à l’information et aux services de santé une priorité absolue, ce qui nous oblige pour la suite. Ils ont également souligné l’importance d’être mieux protégés, grâce à des mesures de protection sociale, y compris l’emploi, au soutien de la communauté, à l’alimentation, à un soutien financier et à un soutien psychologique professionnel pendant la crise sanitaire.
Un plan de contingence est donc recommandé, qui devra traiter de tous les sujets identifiés ci-dessus, afin de préparer au mieux les acteurs communautaires face à une nouvelle crise sanitaire :
- L’accès rapide à des informations exactes pour les bénéficiaires concernant la COVID sera l’une des priorités de ce plan. Il devra travailler sur l’adaptation des ressources à chaque communauté et la distribution de dispositifs de communication dans les régions où la communication virtuelle manque. De même, et suite aux recommandations des participant-e-s, une meilleure collaboration entre les organisations, par le biais de l’échange d’informations à travers les plateformes locales et régionales, et l’élaboration d’un plan d’action régional doté de solides systèmes de référence pour chaque population sera préparé.
- La mise en place d’un système spécifique aux PVVIH qui assure une bonne prise en charge sans interruption de service, sans pénurie de médicaments, ni rupture des médicaments ARV. Ce plan d’action régional devrait inclure toutes les parties prenantes, y compris les dirigeants politiques et religieux, dans le but de réduire les stigmatisations et la discrimination visant les populations marginalisées et bénéficier d’une facilitation par la police et les forces de sécurité interne pour avoir accès aux populations durant le confinement.
- L’importance du soutien financier et d’un soutien psychosocial supplémentaire au profit des populations clés, notamment par l’intermédiaire de centres d’accueil pour les populations vulnérables, fondamental pour venir en aide aux populations qui subissent une perte de revenus et celles qui sont victimes de violence.
- Enfin, la mise à disposition de produits essentiels, des équipements de protection individuelle et des kits d’hygiène.
5. Quelles actions concrètes la plateforme a -t-elle mises en œuvre dès la fin de cette étude ?
La plateforme a lancé un appel à projets et octroyé de petites subventions à 3 ONG (2 égyptiennes et 1 algérienne), qui ont été choisies pour développer des modèles de prestations de services communautaires plus structurés. En effet, il y a eu des distributions communautaires d’ARV avec l’appui des ministères de la santé en Tunisie et au Maroc et c’est une base sur laquelle construire.
Un webinaire a été organisé le 27 octobre pour partager les résultats de l’étude avec les communautés concernées ainsi que les différents partenaires techniques et institutionnels (CCM, ministère de la santé, Expertise France, CRG). Et la plateforme MENA a également partagé les résultats de l’étude le 5 novembre dans le cadre de la table ronde de la société civile « Rain or Shine : Engagement significatif dans le processus du Fonds mondial pendant la COVID-19 » organisée par l’initiative stratégique communauté, droits et genre du Fonds mondial. Cette table ronde a réuni toutes les plateformes régionales, dont la plupart ont conduit des études visant à identifier les conséquences de la COVID sur les groupes vulnérables, et qui poursuivait 3 objectifs:
- Partager des informations provenant d’enquêtes et d’études de cas menées par la société civile et la communauté sur les obstacles spécifiques liés au COVID qui empêchent un engagement significatif dans les processus liés au Fonds mondial, et comment ils peuvent être surmontés.
- Mettre en évidence de bons exemples d’engagement communautaire efficace dans le dialogue avec les pays du Fonds mondial pendant la COVID-19 pour les demandes de financement VIH, la tuberculose, le paludisme et la C19RM soumises lors des fenêtres 1-3, et faire des recommandations pour les candidats des fenêtres 4-6.
- Promouvoir l’apprentissage et l’échange interrégionaux, afin que la société civile et les organisations communautaires puissent reproduire ou adapter des stratégies efficaces d’engagement communautaire.
Source de l’article : Aidspan