Exclusivité des données : comment la loi marocaine risque de faire d’Ozempic un médicament de riches
Communiqué de presse – ITPC-MENA
L’Agence Marocaine du Médicament et des Produits de Santé (AMMPS) vient d’autoriser
la mise sur le marché d’Ozempic®, un médicament injectable à base de sémaglutide
indiqué dans le traitement du diabète de type 2. Administré une fois par semaine, ce
traitement est présenté comme une avancée thérapeutique importante pour les
personnes vivant avec le diabète, une maladie chronique en forte progression au Maroc.
Mais derrière cette bonne nouvelle se cache un problème majeur de politique du
médicament : la manière dont le Maroc applique aujourd’hui la clause d’exclusivité des
données cliniques risque de bloquer l’arrivée de versions génériques beaucoup plus
abordables – et donc de réserver Ozempic à une minorité de patients qui peuvent payer,
ou à quelques assurés privilégiés.
Une clause d’exclusivité des données cliniques mal conçue :
Selon l’article 4 du décret marocain relatif à l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM),
tout médicament innovant bénéficie d’une protection de 5 ans des données cliniques
fournies par le titulaire de l’AMM. Pendant cette période, aucune demande de générique
ne peut s’appuyer sur ces données pour obtenir une autorisation.
En pratique, cela signifie que :
- même si un générique existe déjà ailleurs,
- même si ce générique est sûr, eRicace et fabriqué par un industriel de qualité,
- même si le brevet d’invention est contesté, expiré ou même absent.
L’administration marocaine ne pourra pas le mettre sur le marché avant la fin de ces 5 ans,
sauf à demander au fabricant générique de refaire des essais cliniques coûteux et
éthiquement discutables.
Tel qu’il est rédigé, ce dispositif va au-delà des exigences internationales et neutralise les
marges de manœuvre que le Maroc possède en vertu des règles de l’OMC pour favoriser
l’accès aux génériques.
Conséquences pour les patients et le système de santé
Le diRérentiel de prix illustre l’absurdité de la situation :
- En France, le stylo d’Ozempic 0,5 mg est vendu environ 76,58 €, soit plus de 300 €
pour 4 injections par mois. - Au Bangladesh, un générique comme FITARO est proposé à environ 5 € par stylo,
soit moins de 20 € par mois.
Si un tel générique était disponible au Maroc, il permettrait de traiter davantage de
patients diabétiques, de réduire les complications coûteuses de la maladie et de
soulager le budget de l’assurance maladie. Il oRrirait aussi une opportunité industrielle
pour les producteurs nationaux de génériques, en cohérence avec l’ambition de
souveraineté pharmaceutique du Royaume.
En maintenant une exclusivité automatique de 5 ans pour un médicament comme
Ozempic, le Maroc se prive de ces bénéfices, au profit d’un seul laboratoire étranger.
Ce que montre l’exemple jordanien
D’autres pays ont déjà compris la nécessité d’encadrer strictement l’exclusivité des
données pour ne pas bloquer l’accès aux génériques.
La Jordanie, par exemple, a introduit en 2015 une réforme qui limite la portée de cette
protection : la clause de données ne s’applique plus lorsque le médicament est déjà
commercialisé à l’étranger depuis plus de 18 mois. Autrement dit, si le produit circule
depuis des années sur d’autres marchés de référence, l’autorité de régulation peut
autoriser rapidement des génériques sans attendre la fin de la période de 5 ans.
Ce type de mécanisme permet de protéger l’innovation réelle, tout en évitant que
l’exclusivité des données ne devienne un outil de verrouillage du marché au détriment
des patients.
Les demandes d’ITPC-MENA au Maroc
Un nouveau décret encadrant les AMM est actuellement en préparation. ITPC-MENA
appelle l’AMMPS et le ministère de la Santé et de la Protection sociale à saisir cette
occasion pour corriger la clause d’exclusivité des données et propose notamment :
- Limiter la protection des données lorsque le médicament est déjà
commercialisé depuis plus de 18 mois dans d’autres pays ou autorités de
référence ; - Exclure de la protection les cas où il existe déjà des génériques enregistrés dans
des systèmes de régulation reconnus ou des médicaments dont le brevet est
expiré ou inexistant ; - Garantir la primauté de l’intérêt de santé publique, en permettant
explicitement à l’Agence de déroger à l’exclusivité des données en cas de besoin
de santé publique, de tension budgétaire majeure ou pour soutenir la production
locale de génériques.
Ozempic, un signal d’alarme pour la souveraineté sanitaire
Le cas d’Ozempic ne doit pas devenir un précédent dangereux. Il montre au contraire
l’urgence pour le Maroc de rééquilibrer son cadre réglementaire afin de concilier
stimulation de l’innovation et accès eRectif aux médicaments essentiels.
En réformant la clause d’exclusivité des données sur le modèle de la Jordanie et d’autres
pays, le Maroc peut :
- protéger les droits des patients à un traitement abordable,
- soutenir l’industrie nationale du générique,
- et renforcer sa souveraineté pharmaceutique, pilier de la couverture sanitaire
universelle.
ITPC-MENA restera pleinement mobilisée pour accompagner les autorités et les
partenaires nationaux dans cette réforme indispensable
Contact presse
Othmane Marrakchi – Responsable Plaidoyer, ITPC-MENA
Téléphone : +212 623 737 536
Email : othmane.marrakchi@itpcmena.org

